HISTORIQUE DES NAGEURS DE COMBAT
 
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-----Port de Pola (Istrie), 1er novembre 1918 : deux hommes coulent un cuirassé ! Le simple énoncé de ce fait d'armes montre combien les nageurs de combat, parmi toutes les formes de guerre marine, représentent le meilleur rapport qualité-prix. Depuis l'Antiquité, des hommes intrépides, nommés Colimboïs ou Urinantes, ont régulièrement accompli des exploits individuels. Le plus fameux d'entre eux fut une femme ! Cyana, esclave du roi de Perse, lors des guerres médiques (Ve siècle av. J.-C.). Prises par une violente tempête, les galères de Xerxès s'étaient réfugiées sous le mont Pélion, quand la belle Grecque sauta à l'eau de nuit pour trancher le mouillage des navires de ses maîtres honnis. En récompense, elle eut droit à une statue au temple de Delphes, volée par Néron et retrouvée à Rome sous le nom de Vénus de l'Esquilin.  
       L'intrusion des nageurs de combat dans l'époque moderne est signée par deux Italiens, Raffaele Rossetti et Raffaele Paolucci ; ils coulent, à la fin de la Grande Guerre, le Viribus Unitis, navire amiral de la flotte austro-hongroise. Un coup d'essai, certes magistral, une ultime gifle au Kaiser, mais sans conséquence sur le cours de la guerre.

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       L'épopée des hommes du prince italien Valerio Borghese, commandant la Decima Flottiglia MAS (Mostocafi Anti Sommergibili, ou engins automobiles contre les sous-marins), avec plusieurs attaques successives du port d'Alexandrie (Egypte), eut une tout autre importance quant à la maîtrise de la Méditerranée durant la guerre de 1939-1945. Dès 1937, la Marine italienne s'était efforcée de mettre au point une tactique d'emploi appropriée à ces moyens si peu conventionnels, et grâce à de brillants ingénieurs, comme Teseo Tesei, avait mis au point des engins SLC (Siluri a Lenta Corsa, Sommozzatori) surnommés "maiali" (cochons): c'étaient de grosses torpilles de 6,70 mètres modifiées pour accueillir deux plongeurs avec une autonomie de 4 heures, et dont la mission était de fixer des charges explosives de 300 kg sur la coque des navires.
Parallèlement étaient nés les nageurs-saboteurs du groupe Gamma (Nuattatori Guastatori), qui opéraient à la nage avec une autonomie d'une heure environ.

Les premières tentatives contre le port d'Alexandrie et contre Gibraltar se soldent par un échec, mais dès mai 1941, les Sommozzotari coulent 3 navires de commerce.
L'assaut nocturne du 18 décembre 1941 est décisif : le Valiant (navire amiral de la Royal Navy) et le Queen-Elisabeth, deux cuirassés de 32 000 tonnes, ainsi qu'un pétrolier, le Sagona, reçoivent chacun la visite sous-marine d'un sommozzatore portant une charge explosive. Les brèches occasionnées seront fatales. Mais les navires, blessés à mort, s'enfoncent imperceptiblement à cause de leur important tirant d'eau. Les Anglais, maîtres en camouflage, font alors repeindre une nouvelle ligne de flottaison, organisent de grands bals de fin d'année sur le pont et donnent ainsi suffisamment le change pour que les Italiens lancent de nouveaux raids ! 
 

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L'ancêtre des Propulseurs sous-marins...
© Ecole de Plongée 1991
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Les conséquences de ces dynamitages seront majeures : comme le dernier cuirassé britannique, le Barham, et le porte-avions Ark-Royal ont déjà été torpillés par les U-Boote de l'amiral Dönitz, les convois germano-italiens vont pouvoir traverser en toute quiétude la Méditerranée. La voie est libre pour la grande offensive de Rommel jusqu'à El-Alamein : six hommes, montés sur de drôles de torpilles, ont ainsi fait basculer pour un temps le cours de l'histoire.
Jusqu'en août 1943, les "Maiali" et les nageurs Gamma vont couler une vingtaine de cargos et de pétroliers, établissant même une base secrète de départ dans un ancien cargo italien coulé dans les eaux espagnoles de Gibraltar.

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Les ancêtres britanniques...
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Ayant compris les possibilités offertes, les Anglais vont rapidement créer trois types d'unités de nageurs de combat:
- Des équipages de torpilles humaines ("Human Torpedo") appelés aussi "Chariots", copie des "maiali".
- Les Special Boat Section (SBS), petites unités commandos de sabotage à caractère maritime, qui utilisent un moyen d'approche nouveau: le Kayak biplace en toile.
- Des groupes chargés de démolition d'obstacles ("Clearance Divers").
Les opérations des NC britanniques débutent en octobre 1942 avec pour objectif le cuirassé allemand Tirpitz mouillé dans un fjord en Norvège, mais la mission échoue. L'amirauté anglaise lance alors plusieurs attaques de "chariots" devant Palerme, Tripoli et La Spezia, occasionnant des pertes à la marine italienne.

Début 1944, la Marine allemande, réduite à la défensive, décide la création d'une unité de nageurs de combat, baptisée "Kommando der Kleinkampfmittel" (Groupe des engins d'assaut de la Marine) ou Unité K, sur le modèle de la Decima Mas, qui remportera quelques succès spectaculaires, tels les attaques de ponts et d'écluses en Hollande en juin et novembre 1944, puis en Baltique jusqu'en avril 1945.
Après les opérations amphibies de Tarawa, dans l'océan Pacifique, les américains créèrent les UDT (Underwater Demolition Teams), principalement pour détruire les obstacles et les mines lors des opérations de débarquement, et n'ayant pas de mission purement offensive. Ces groupes furent transformés durant la guerre du Vietnam, avec un accent sur les opérations côtières, et ils devinrent les SEAL (Sea, Air, Land) en 1962.
Les Japonais entreprirent également début 1944 la mise sur pied d'unité très spéciales de nageurs de combat kamikazes: les Fukuryu (Fuku = bonheur, Ryu = dragon), avec toutefois des succès quasiment nuls.

Après la guerre, le modèle de l'attaque nageur se répand rapidement, et ne se limite pas toujours à l'action "légale":
En décembre 1961, un LST de la Marine nationale, le "Laïta", est amarré au môle de l'amirauté dans le port d'Alger avec une mission précise: contrer les émissions pirates de l'OAS grâce à un matériel d'écoute sophistiqué. De nuit, les membres d'un club de plongée disposent une chambre à air remplie d'explosifs sous la ligne de flottaison. L'explosion provoque une importante voie d'eau dans le compartiment des machines, un marin est mortellement blessé. Inutilisable, le navire devra être remorqué à Mers él-Kébir.

Cet exemple parmi tant d'autres met en évidence l'efficacité, mais surtout le faible "coût" de l'action nageur: "une arme des pauvres", qui d'après un officier "frise le terrorisme"...

Ne nous y trompons pas : aujourd'hui, peu de nations possèdent ce savoir-faire guerrier qui reste l'apanage des pays riverains de la Méditerranée. Les Italiens ont gardé une étonnante maîtrise des engins submersibles : ils disposent notamment de vedettes filant à 40 noeuds en surface, armées de 16 nageurs de combat, capables de passer en totale immersion à dix nautiques (18 kilomètres) de leur objectif. Le plus grand secret entoure ces submersibles, que la Marine américaine aimerait bien acquérir, en vain, car les forces spéciales italiennes les utilisent dans la lutte contre la Mafia.  

En France, le commando Hubert est une unité très discrète qui représente le fer de lance des forces spéciales. Sa compétence est indiscutée. Sans tambour ni trompette, ses nageurs de combat sont engagés depuis dix ans sur tous les théâtres d'opérations auxquels la France participe.  

Sources:
Article de Frank Jubelin - Sciences & Avenir n° 653 - juillet 2001
Articles de Raids n°27 - août 1988


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